LE SILENCE EST DE MARBRE …
Je m’arrêtais devant la fenêtre d’une voiture, voyant mon pâle reflet me retourner son regard sombre et morne. Mes cheveux clairs cascadaient par-dessus mes joues blanches, presque translucides, à travers lesquelles serpentaient le long des commissures de mes fines lèvres, qui gardaient leur incessant mutisme, mes veines. Je n’étais pas vraiment muette, disons plutôt que je n’avais pas la volonté de prendre la parole.
Le klaxon d’une voiture me fit sortir de mes rêveries et je repris mon chemin, arrivai dans le musée X et me dirigeai vers le la galerie « Antiquités Gréco-romaines », mon crayon dans ma main droite et mes écouteurs sur les oreilles les protégeant ainsi du brouhaha interminable qui régnait dans le hall.
Je m’assis sur un banc, face à Daphné se transformant en arbre pour échapper à l’amour du dieu Apollon. J’allumai mon baladeur pour couvrir le bruit que, à eux seuls, mes écouteurs ne pouvaient couvrir. Les notes jouées par des violons qui emplirent mes oreilles étaient pareilles à des petites aiguilles que l’on pique dans le bois pour faire structure aux subtils fils de cotons représentant la mélodie qui allaient et venaient, montaient pour s’estomper ensuite, formant ainsi telle une frise de dentelle représentant la délicatesse et la beauté du morceau à mes oreilles. Et si seulement les cris d’enfants ne venaient pas couvrir de leurs bruits stridents cette beauté, alors ma joie en aurait été des plus exquises.
J’ouvris mon carnet et commençai à esquisser la ronde-de-bosse sur le blanc encore pur du papier puis m’arrêtai pour fixer la statue devant moi et me laissai aller par le flot continue de pensées qui traversaient mon esprit, et que j’écrivis sur mon carnet par la même occasion, en me remémorant l’histoire de ces deux personnages :
« Apollon, Celui-Qui-Brille (je me dois de rajouter « tant en sa beauté qu’en sa fonction »), était épris de la nymphe Daphné, qui n’éprouvait en retour, aucun sentiment. Lors de sa confession, celle-ci refusa toutes avances et prit la fuite. Apollon étant à ses trousses, la nymphe, désespérée, décida alors de ce métamorphoser en un laurier pour échapper au dieu. Mais ce dernier ne fut pas pour autant découragé par cette ruse et fit d’elle son arbre, au lieu de la faire sienne.
Je me demandais pourquoi un tel refus. Etait-ce véritablement parce que la nymphe n’éprouvait aucuns sentiments, peut-être était-ce simplement les auteurs de l’époque qui gardaient incéssablement en tête l’idée qu’Apollon n’attirait pas les femmes qu’il aimait ou encore que seuls les hommes, à cette époque, étaient considérés comme étant les seuls dignes d’aimer et d’être aimer et que, souvent, c’était le personnage féminin qui détenait le mauvais rôle. Il y avait une dernière possibilité que j’envisageais. La crainte. La crainte amène à beaucoup de choses, comme le refus total ou le désir de fuite.
Il ne faut pas oublier une chose importante ; c’était de peur que les dieux soit en colère que les gens leur rendaient un culte. Et je vous avoue mieux comprendre alors, pourquoi le peuple à laisser derrière lui le culte polythéiste. Savoir que celui qui est le plus puissant de tous soit un dieu compatissant, patient, qui porte de l’amour à sa « création », n’est-ce pas là une sorte de réconfort dans un culte où tout est fondé sur la peur d’offenser et la guerre ? Les croyances ont toujours été quelque chose de fondamental pour l’homme. Prendre conscience qu’il y a plus puissant que notre espèce, reposer nos espoirs et nos prières sur une chose qui nous dépasse alors que tout nous semble perdu.
L’amour, la peur, la colère, l’orgueil, sont elles-mêmes des choses sur lesquelles l’humain s’interroge encore, se méfie, parfois renie et, même si cela parait étrange, peut glorifier. Le plus curieux, je pense, resteras l’amour. Celui qui nous attire, qui prend nos cœurs, les terrifie, qui les déchire. Il nous effraie et nous fait fuir telle une Daphné tentant d’échapper à Apollon. Nous encourage et nous emplit de convictions, pareil à un Apollon ne baissant pas les bras face au refus de la nymphe et continuant à vouloir la faire sienne. Il peut même nous séparer comme le fait l’apparence du laurier que prends Daphné pour qu’elle n’appartienne pas à Apollon.
En tant que jeune fille l’époque actuelle, je ne peux croire qu’en des sentiments sûrs et des choses qui existent matériellement en ce monde, qui demande lui aussi des valeurs sûres ; le temps, l’argent, le travail, la consommation. Je ne suis peut-être qu’une enfant à vos yeux, vous qui lisez ce texte, mais croyez-moi, j’ai bel et bien conscience du fonctionnement de cette mentalité industrielle et de consommation.
Et de toute ma vie, de tous mes sentiments, j’ai appris quantité de choses et en ai appréhendé d’autres. L’une d’entre elle concerne une chose que je chéris le plus : le silence. Le silence, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne fait pas obstacle aux sentiments, à leur croissance. Il peut même y contribuer.
Dans l’action, les paroles sont bien futiles. Le silence, à mes yeux, est pareil à cette statue de marbre devant moi, figée, muette mais qui semble nous chuchoter au creux de l’oreille tous ses secrets les plus intimes. Regardez-la. Regardez-la et dites-moi si vous avez compris ou non ce qui se passait entre les deux personnages, qui pourtant demeureront muets et immobiles incessamment.
Le silence est de marbre, il est tout, la parole, elle, n’est que le drapé, aussi inutile qu’un accessoire. Comparée à lui, comparée au silence : elle n’est rien. »
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